L’ADN fossile, une machine à remonter le temps
Depuis 30 ans, il est possible d’analyser l’ADN ancien contenu dans des échantillons archéologiques. En retraçant l’histoire de l’évolution humaine, la génétique a apporté des contributions majeures à l’archéologie.
Pourquoi on en parle
Des scientifiques ont réussi à extraire de l’ADN humain datant d’il y a environ 20 000 ans sur un pendentif en dent de cerf, détaille une étude parue dans la revue Nature le 3 mai. C’est la première fois qu’une équipe parvient à identifier de l’ADN humain à partir d’un artefact préhistorique animal. Habituellement, ces objets sont contaminés par l’ADN des fouilleurs ou par des micro-organismes lorsqu’ils sont sortis de terre et étudiés, ce qui complique la détection d’ADN ancien. Pour surmonter ce problème de contamination, les chercheurs ont étudié des dents de cerf fraîchement excavées avec d’importantes précautions (gants, masques, charlottes). Grâce à l’ADN extrait, ils ont pu déterminer que le pendentif avait été porté par une femme appartenant à une population du nord de la Sibérie. Ils ont également pu dater l’objet, vieux d’entre 19 000 et 25 000 ans. Contrairement aux méthodes habituelles d’extraction de l’ADN, leur méthode basée sur un traitement chimique de la dent a permis d’éviter de prélever un morceau de celle-ci. Les chercheurs souhaitent désormais étudier d’autres objets fabriqués à partir d’os et de dents durant la Préhistoire pour en savoir plus sur les individus qui les ont fabriqués, utilisés ou portés.
En schéma

L’explication
Une discipline récente
La paléogénétique, l’étude génétique des organismes et populations du passé, est devenue possible dans les années 1980. Des avancées technologiques ont permis d’analyser de l’ADN retrouvé dans un état très dégradé et en très faible quantité dans certains restes biologiques anciens, comme des ossements, des dents, des poils ou encore des tissus mous de momies. Dans les meilleures conditions de préservation, comme dans le sous-sol gelé du Groenland, « l’ADN peut être conservé jusqu’à 2 millions d’années maximum », explique à Brief.science Ludovic Orlando, paléogénéticien. Grâce à ces progrès, il est devenu possible de « lire » ou « séquencer » les bouts d’ADN fossiles, c’est-à-dire de déterminer l’ordre de ses constituants, qui diffère selon les espèces et les individus. Les paléogénéticiens ont ainsi séquencé les génomes (l’ensemble complet de l’ADN d’un organisme) de milliers d’individus disparus, ainsi que ceux d’anciens microbes, plantes et animaux qu’ils mangeaient ou avec lesquels ils interagissaient.
Des découvertes inédites
La paléogénétique a permis d’importantes découvertes sur l’évolution des populations humaines au cours du dernier million d’années. Alors que les paléontologues pensaient que les Néandertaliens ne s’étaient pas reproduits avec les Homo sapiens, dont nous sommes issus, le séquençage de l’ADN de Néandertaliennes a démontré un métissage. Ainsi, les Européens et Asiatiques actuels portent toujours environ 2 % d’ADN néandertalien dans leurs génomes. « La lecture des génomes anciens a également permis de détecter un nouveau groupe d’humains jusqu’alors inconnue, qui a cohabité avec Néandertal et Homo sapiens », raconte Ludovic Orlando. Il s’agit des Dénisoviens, une population asiatique à laquelle on ne peut pas encore associer de squelette complet, mais dont on dispose d’ADN de grande qualité, obtenu à partir d’un fragment de phalange de la main. La paléogénétique a par ailleurs permis de retracer la domestication de certains animaux tels que les loups et les chevaux, ayant entraîné des modifications de leur ADN [lire notre dossier sur le sujet].
Des limites importantes
« L’ADN ancien est très rare, très abîmé et difficile à analyser », commente Ludovic Orlando. Après la mort des individus, l’ADN est très vite dégradé par des micro-organismes. De plus, il est généralement dilué dans une grande quantité d’ADN provenant de micro-organismes du sol qui ont colonisé le squelette enterré. Pour obtenir des bouts d’ADN en quantité suffisante pour être déchiffrés, il faut passer au crible un nombre considérable d’ossements. Les échantillons peuvent également être contaminés par l’ADN des archéologues ou de microbes récents. Un cas spectaculaire, publié en 1994, décrivait l’analyse de l’ADN d’un dinosaure vieux de 80 millions d’années, ce qui contredisait toutes les preuves antérieures sur la longévité de l’ADN. Les résultats ont depuis été reconnus comme erronés en raison d’une probable contamination par un ADN étranger humain. Autre limite, les méthodes d’extraction de l’ADN nécessitent le prélèvement d’une petite quantité d’os ou de dent, ce qui détruit en partie ces précieux restes archéologiques.
Un Homo sapiens à la peau sombre en Angleterre
En 1903 est retrouvé dans la grotte de Cheddar, dans le sud-ouest de l’Angleterre, un squelette humain datant d’il y a environ 10 000 ans. Il appartenait à un jeune chasseur-cueilleur Homo sapiens, surnommé « Homme de Cheddar », décédé alors qu’il était âgé d’une vingtaine d’années. Des scientifiques du Musée d’histoire naturelle de Londres ont pu extraire son ADN à partir de son crâne et l’ont séquencé afin de révéler certaines de ses caractéristiques physiques. Ils ont montré qu’il avait probablement les yeux bleus et une peau foncée. Ces résultats sont cohérents avec les analyses ADN de différents ossements découverts en Europe et datant de la même époque. Ils suggèrent que l’apparition de teintes plus pâles de la peau sont apparues très récemment en Europe, il y a moins de 10 000 ans. La communauté scientifique considérait auparavant que les peaux pâles étaient apparues en Europe bien plus tôt, il y a plus de 40 000 ans. Les chercheurs qui ont réalisé l’analyse estiment qu’environ 10 % des Britanniques actuels partagent une ascendance avec la population de chasseurs-cueilleurs à laquelle appartenait l’Homme de Cheddar.
Pour aller plus loin
Une émission de France Inter avec Ludovic Orlando sur les découvertes réalisées grâce à l’ADN fossile.
Notre dossier sur le séquençage du génome humain.